Allerséileconcert 2019
Berceuses de la mort
Pour son «Allerséileconcert», la Chorale Saint-Michel entre éclat et apaisement
Par Pierre Gerges
Le rendez-vous musical du 2 novembre, donné en l'Eglise Saint-Michel pour commémorer la «Fête des Morts», a incontestablement réussi à s'instaurer dans sa dimension de tradition fédératrice entre le recueillement religieux et un hommage plus universel. Elargissement de vue et de visée qui sans doute incitent à toujours réinventer l'entourage instrumental et soliste auquel la cinquantaine de choristes se trouve associée dans son infatigable quête de la musique sacrée occidentale.
Sculpter l'ampleur sonore
Avec les effectifs variables de l'«Orchestre de Chambre du Luxembourg», la soprano Véronique Nosbaum, le baryton Franz Schilling et l'organiste Gilles Leyers, la direction de Gerry Welter eut fort à faire pour sculpter l'ampleur sonore et tenir sous contrôle les inévitables excroissances et poussées individuelles. Quant à l'itinéraire programmatique, il plongea ses racines vivaces dans les riches terres du baroque tchèque de Franz Xaver Richter et de Jan Dismas Zelenka (bien fréquenté par cet ensemble) pour faire éclore tout le parfum sulpicien de la floraison palpitante de Gabriel Fauré («Cantique de Jean Racine» et l'illustre «Requiem»).
Tandis que l'instrumentale «Sinfonia» de Richter pouvait encore exploiter la farouche énergie des affects intégrés dans un réel théâtre expressif, le «Miserere» de Zelenka eut à partager sa flamme rayonnante avec le chant choral et soliste. Et ce partage ressembla plus à un côte à côte, à une répartition par sections tantôt chantées tantôt orchestrales, qu'à un enlacement des pupitres et des voix, à une coloration mutuelle par les timbres spécifiques. Ce qui fit résonner les innombrables entrées des parties fuguées de manière passablement univoque.
A son corps défendant, Fauré doit la popularité surtout à son «Requiem» qu'il a composé en contrepoint au tapage sentimental de tant d'offices funèbres que cet organiste (peu croyant) eut à accompagner forcément (à la Madeleine, église la plus bourgeoise de Paris), plus qu'à son imposante création de musique de chambre.
Respecter l'esprit originel de l'oeuvre, cette difficile alchimie entre simplicité et engagement, entre la sérénité face à la mort et la profonde humanité qui en est indissociable, est-ce que cela ne demanderait pas davantage de modestie dans les moyens sollicités? Surtout dans un espace aussi étriqué que celui de Saint-Michel, bas de plafond, rétif aux amples respirations et qui s'accommoderait fort bien d'une option résolument intimiste?
Dramatique et solennel
Mais ce ne fut pas de cette oreille que l'entendirent les musiciens d'un orchestre à proprement parler déchaîné, emphatique dès l'accord introductif, dramatique et solennel, comme s'il s'agissait de prouver que Fauré n'est pas que l'homme de la dentelle sonore. Ajoutez-y un orgue peu amène qui ne cachait pas ses artifices électroniques ou une harpe bien épaisse et on comprendra à quel point les louables efforts du chant choral (des voix masculines notamment) d'alléger cette étoffe apaisée souffrirent d'une confrontation par trop inégale.
Que ces restrictions ne nous fassent cependant pas oublier des incursions solistes bien plus idiomatiques, ni celle de Véronique Nosbaum dont le timbre délicieux parla du ciel tout en restant bien ancré sur terre («Pie Jesu») ni celle de Franz Schilling, baryton somptueux, alliant à merveille une clarté prenante et une noble gravité qui donnèrent le frisson.
