Bruckner: Requiem (1847)
LUXEMBURGER WORT DU 8 NOVEMBRE 1996
Hommage émouvant à Anton Bruckner
La Chorale Saint-Michel et l’ensemble «Les Musiciens» avaient réservé leur concert traditionnel du Jour des Morts à des œuvres d'Anton Bruckner pour commémorer le centenaire de son trépas. Le directeur de la chorale Gerry Welter avait programmé, à une exception prés, uniquement des œuvres de jeunesse du maître d'Ansfelden, Les deux Aequali pour trois trombones et le Prélude et fugue en ut. mineur pour orgue furent composes en 1847 alors que le compositeur avait vingt-trois ans. A l’âge de 25 ans, il a écrit le Requiem en ré mineur qui dure presque quarante minutes et à trente ans, il composa le Libera me en fa mineur pour les funérailles de son bienfaiteur l'abbé Michel Arneth.
A en juger par les applaudissements des auditeurs de l’église. Saint-Michel archicomble, toutes ces œuvres ont fortement impressionné le public. Ce concert a largement contribué à détruire la légende selon laquelle Bruckner n’aurait rien produit de valable avant la quarantaine, c'est-à -dire avant son apprentissage auprès du théoricien Simon Sechter. Ces compositions, longues ou brèves, ne sont pas des balbutiements d'autodidacte ou de simples exercices de style. Elles orit été exécutées pour la première fois dans notre pays, et il convient de fé1iciter l’auteur du cahier-programme de nous avoir fourni toutes les informations utiles à la compréhension d’œuvres que nous entendions pour la premiere, fois.
Gerry Welter avait judicieusement agencé le programme qui faisait un tout cohérent et logique. Dès le premier «Aequale» joué par les trois trombones Gilles Héritier, Arthur Topper et Vincent Debès, la gravité de la situation était esquissée. Alain Wirth enchaîna à l’orgue pour nous préparer au premier morceau d'envergure, l'adagio pour cordes tiré du Quintette à cordes en fa majeur. Gerry Welter, à la tète d'une vingtaine d'archets, aborda cette longue méditation avec une extrême délicatesse et structura les différentes voix de façon à faire surgir un véritable souffle symphonique. La respiration était presque mahlérienne (ou bien Mahler se serait-il inspiré à cet endroit?) dans, l'expression et la genèse de la tension et la détente. Quant à la qualité sonore, les instruments graves furent pleinement satisfaisants tandis que les violons et notamment les premiers ne furent pas exempts d'impuretés.
La chorale s'attaqua au Libera me Domine où elle fut soutenue par les trombones, les violoncelles, la contrebasse et l'orgue.
'Elle sut capter d’emblée l’attention des auditeurs par une entrée en matière franche et précise. Malgré le fait que Bruckner explore parfois les régions extrêmes des possibilités de la voix humaine, là chorale a maîtrisé ses élans et n'a pas confondu chanter avec crier.
Dans le Requiem, la chorale a fourni une prestation tout à fait remarquable à tous points de vue. Gerry Welter a effectué un véritable travail en profondeur. Tout comme la musique de Bruckner colle pleinement au texte et tout comme chaque épisode a son caractère propre, l’interprétation suivait exactement les intentions du compositeur.
Tour à tour triste, dramatique, terrifiante, méditative et apaisante, cette musique évoque tous les états d’âme depuis la peur jusqu’à la félicité. A côté d'une chorale bien disciplinée chantant avec une aisance et une sûreté étonnantes, Gerry Welter avait à sa disposition un quatuor de solistes quasi idéal. Carmen Welter-Jander, soprano, Jeanne Klein, alto, Camille Kerger, ténor, et Jean-Marie Kieffer, basse, ont été pleinement convaincant tant individuellement qu’en quatuor.
A titre d'exemple, il convient de citer le Hostias et le Benedictus où les quatre solistes furent un modèle de transparence et d'équilibre. Le plus beau solo était réservé à la basse dans le Domine Jesu Christe, que Jean-Marie Kieffer a rendu avec une sereine expressivité.
Citons, pour conclure, deux exemples qui attestent la maîtrise totale des chanteurs dans l’élaboration d'une ligne mé1odique : le Sanctus conçu comme un vaste crescendo et le Requiem in aeternam chanté a cappella, qui sui l’Agnus Dei furent, deux sommets parmi d'autres de ce concert très réussi. Les auditeurs, qui ont passé des moments d'émotion intense, ne n’oublieront pas de si tôt.
René Molling