Requiem de J.D.Bomtempo LW
LUXEMBURGER WORT DU 6 NOVEMBRE 2001
Grandes solennités portugaises
Le requiem de João Domingos Bomtempo en l'église Saint-Michel
Gilles Leyers nous mit dans la bonne ambiance en faisant résonner les tonalités chaudes et veloutées de l'orgue sous les vénérables ogives gothiques de Saint-Michel. Mais même dans les «tientos» du XVI' siècle influencés par des airs à la mode, l'émission sonore restait feutrée, le pas pondéré, et la sonate de Carlos de Seixas, plus proche du temps de Bomtempo, ne se dérobait point aux règles de bienséance qui cadençaient cette époque.
Quant à Joâo Domingos Bomtempo, à qui la soirée allait être consacrée en majeure partie, personne dans l'auditoire ne devait rougir en avouant que ce compositeur nous était, avant le concert, un étranger absolu. Si sa musique est, de prime abord, facile d'accès, elle l'est un peu moins dans la définition. Aussi, au lieu de détailler dans le programme toute la vie du compositeur et celle de Luis de Camôes, avec qui le requiem présenté n'a, sauf qu'il lui est dédié, aucun rapport, on aurait bien fait de fournir quelques indications sur l'oeuvre ou reproduire le texte liturgique que le compositeur a pour ainsi dire pris comme toile de fond d'une partition d'opéra dense et dramatique.
Bomtempo commence avec un «Requiem aeternam da nobis» retenu qui, comme chez Mozart, s'élève mystérieusement au-dessus des brumes de la mort (ce qui constitue un cap ardu à franchir pour le chœur progressant uniquement sur un lugubre roulement de timbales). Mais là s'arrête déjà toute analogie avec Mozart. Investi d'une fougue qu'il semble avoir héritée de son père italien, le compositeur portugais prête ainsi au Kyrie des accents si péremptoires que nulle divinité sans doute n'oserait refuser la grâce céleste.
A grand renfort de tressautement violonistique et de convulsions de la part des instruments à vent, le Dies irae déchaîne un ouragan que seuls oseraient affronter les plus téméraires navigateurs lusitaniens ... et la chorale Saint-Michel, disons-le avec le respect dû. Tout reste enlevé, vif... et indubitablement à fleur de peau. Tant le Benedictus que l'Agnus Dei avec leur solennité, leurs contrastes excessifs manquent singulièrement de sentiment religieux. Il y a même des pages quelque peu siropeuses telles que le Hosannah qui revient une seconde fois se nicher sur une couche de cuivres laquelle, au lieu de répandre la sérénité, se repaît de sa propre gloire.
Pourtant, dès que le glas du Tuba mirum est sonné (avec la première apparition, nullement effrayante, de la basse Jeff Speres), Bomtempo donne le coup d'envoi d'une série d'airs et de modulations proches du bel canto de ses contemporains Cherubini et Spontini: Pie Jesu, Ingemisco, Supplicanti, Quam olim Abrahae, Hostias et preces ... De quoi ravir les férus de mélodies câlines et enjôleuses.
Dans tout cet épanchement lyrique, l'intervention des solistes est pourtant fort limitée. Ceux à qui nous avons affaire sont très habiles à tirer leur épingle du jeu: belle concordance d'une voix de ténor conduite avec doigté (Jean-Paul Majerus) et d'une basse noire et résonnante (Jeff Speres), l'alto discret (Isabelle Weis-Heischbourg) planant au milieu telle une constante dont on ne saurait se dispenser. Le soprano trémolant de Patricia Frères manquait par contre un peu d'assurance.
La chorale Saint-Michel, secondée par «Les musiciens», admirablement à la hauteur de leur tâche, fut donc presque seule à venir à bout d'un parcours hasardeux: écumer contre vents et marées la houle agitée du requiem bomtempien. Ce qui permit à Gerry Welter, en directeur éprouvé, de tirer toutes les ficelles de son art: pureté de l'into nation, déclamation astucieuse rythmant les passages mouvementés, attaques fulgurantes et puissantes ascensions contrastant vivement avec ce pianissimo recueilli et émouvant qui demeure la griffe de la chorale Saint-Michel.
Bien sûr, la candeur de certaines pages aurait requis des voix de garçons, car des sopranos se faisant petites filles n'arrivent pas tout à fait à créer la même ambiance. Parfois aussi, on aurait souhaité un peu plus d'audace pour un compositeur si maniéré, si haut en couleurs...
A Saint-Michel, on le sait, ce sont le style linéaire, le legato et la souplesse qui dominent. Dans cette conception classique et harmonieuse, la rondeur des timbres instrumentaux, le détail narratif et la beauté de la ligne vocale ont l'occasion de s'épanouir pleinement.
L'intériorisation qui bouclait le «Dona eis requiem» en était la preuve probante, et l'exécution de cette œuvre scintillante et fougueuse qu'est le requiem de Bomtempo s'inscrit dignement dans la tradition de représentations prestigieuses dont la chorale Saint-Michel et l'ensemble «Les musciens» peuvent se prévaloir.
André Link
